L’infraordinaire ou Dans mon Sac

Dehors, le ciel s’illumine doucement, le monde se réveille. Tout est déjà rose, jaune, vert, une vraie carte postale, comme dirait Antigone.

J’ouvre mon sac pour me prêter à cet exercice sur le quotidien. Il m’est difficile de parler de mon quotidien et de mes affaires, car c’est une porte ouverte sur qui je suis réellement. Cette partie de moi que presque personne ne connait… Inconditionnelle rêveuse intemporelle née à la mauvaise époque qui rêve d’expédition scientifique en bateau, de photographie argentique et autres merveilles de cuivre. La procrastinatrice invétérée au monde fantaisiste qui n’a guère les pieds sur terre. Si mon univers ne vous fait pas peur, si vous voulez réellement connaitre mes histoires alors ouvrez vos yeux et regardez tous ces objets qui m’entourent. Ils ont tous une histoire un peu farfelue, parfois un peu folle ou simple. Des longues, des courtes, des drôles, des tristes, mais ils en ont tous une. Il suffit de me demander et je vous laisserais peut-être apercevoir un bout de ce qui cache derrière ma carapace. Mon quotidien est une aventure à chaque instant, voulez-vous vraiment le découvrir ?

Commençons par le contenant. Mon sac, un joli sac de couleur améthyste que j’ai acheté tout simplement sur internet. Mon premier sac de couleur, étonnamment car je suis une inconditionnelle du noir pour mes tenues. Une crise colorimétrique où mes cheveux sont devenus en parti bleu, où mes vêtements se sont éclaircis, mais je reviens toujours et encore au noir qui m’appelle dans ses profondeurs et me rappelle combien les noirs sont passionnant et parfois plus vibrant que les couleurs. Un rappel inconscient des œuvres de Pierre Soulage ? Qui sait… Ouvrons-le ensemble !

Un portefeuille ‘Totoro’, un porte clé paresseux avec mes clés de voiture, mon permis de conduire, le vieux trousseau de clé de chez ma grand-mère, mon téléphone, mon gloss ‘Tony-Moly’, mes médicaments… Inventaire bien banal aux yeux du commun des mortels, mais penchons-nous deux minutes sur ces objets… Pourquoi Totoro ? Pourquoi cette petite peluche de paresseux sur les clés de voiture ? Et ce permis dont la date semble bien tardive par rapport à mon âge ? Et pourquoi ce trousseau de clés devenues inutiles ? Et ce rouge à lèvres, qu’a-t-il de spécial pour ne pas quitter ce sac ? Pourquoi ces médicaments sont-ils là, à quoi servent-ils ?

J’ai du mal à mettre ces mots sur le papier. J’efface. Je recommence. Je supprime. Je réécris. Je gribouille vaguement sur un papier, le regard perdu sur un avion qui décolle. Je me sens idiote à raconter tout ça, un peu vulnérable peut-être.

Ce portefeuille… je passe ma main dessus et je sens les motifs brodés dessus. Totoro, ce personnage fictif venant d’une des œuvres d’Hayao Miyazaki a bercé mon enfance, mon adolescence. Cette grosse peluche est la première pierre de l’édifice constituant ma fascination profonde pour le Japon. Ces nombreuses heures à le regarder, avachie dans le canapé chez ma grand-mère avec ma grande sœur, ma petite sœur et mon petit frère. D’ailleurs, ma petite sœur le réclamait sans cesse, elle en a usé plusieurs copies VHS à force de les rembobiner, inlassablement. Une découverte faites grâce à ma grande sœur, qui s’occupait d’eux à l’époque. Totoro est intimement lié à mon frère et à mes sœurs. Il est l’un des symboles de notre lien indéfectible, de ces moments passés avec eux. Ce sont des souvenirs que je garde précieusement au fond de moi. Totoro est un peu notre symbole. Une histoire un peu banale mais peu m’importe.

Je le pose sur ma gauche, et je prends l’objet suivant, le premier qui me tombe sous la main. Mon petit gloss, il ne me quitte jamais, je me sens nue et vulnérable sans maquillage. Artéfacts de mes années dans le monde de l’esthétique ? Probablement. Monde superficiel où il est si facile de se cacher derrière des artifices et de perdre son amour pour soi. C’est une partie de moi, de mon histoire, aussi banal cet objet soit-il, il fait partie de mon quotidien. Allez de l’avant sans oublier les fantômes du passé, c’est un peu le message caché dans mon gloss. Il est mon arme contre le monde qui met des bâtons dans les roues du car transportant les projets de ma vie.

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Vient ensuite mon téléphone, un bête outil mais dans lequel se trouve un condensé de ma vie. Je suis une personne ultra connectée, un peu (beaucoup ?) geek. Je suis toujours sur Facebook, à jouer ou à faire des photos avec mon téléphone. Il m’a été offert par mon Papa pour l’un de mes anniversaires. Mon Papa, c’est cette personne qui habite très loin mais pour qui j’ai une admiration sans limite. Il est toujours là quand j’ai besoin. Mon Papa à moi, c’est le plus fort. Il sait tout, il arrive à tout. J’ai beau avoir 32 ans, il reste une des personnes pour qui j’ai le plus d’admiration au monde. Mon téléphone, c’est le souvenir de moments passés avec lui, c’est le moyen de garder contact avec lui depuis qu’il est parti au loin, en Guyane. Il est tombé un nombre de fois incalculable, même prit un bain moussant mais il tient le rythme ! J’espère qu’il tiendra encore quelques temps, j’en ai vraiment besoin, même s’il est sans arrêt en silencieux, il est mon lien avec mes amis, ma famille, les gens important.

D’ailleurs, en parlant de Guyane, parlons de ce porte-clé peluche paresseux qui a été acheté là-bas. C’était il y a 2 ans, j’étais déprimée, j’avais besoin de me ressourcer auprès des miens. Ma famille est loin, ma mère habite a 2h30 de chez moi, mon petit frère et ma petite soeur aussi, mon père et ma grande sœur en Amérique du Sud. J’ai eu la chance de pouvoir y retourner pour la 5ème fois. J’ai vraiment pu y faire mes meilleures photos, en y découvrant l’impressionnante Maripa-Soula, ville qui a profondément apaisé mon âme. J’ai pu respirer l’air chaud qui m’enveloppait, me rappelant la première sensation que j’ai eu en descendant de l’avion il y a 16 ans. Cette claque d’air chaud et humide dont je me rappelle comme si c’était hier. J’ai pu m’imprégner de nouveau de ce pays que j’aime tant, ses couleurs, son odeur, ses visages.

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Un matin, ma belle-mère me parle d’une « ferme de paresseux ». En réalité, il s’agissait d’une association qui sauve et soigne les paresseux blessés, malades et qui les relâchent dans une zone protégée. Ni une, ni deux, nous voilà parti. Je suis surexcitée comme à chaque fois que je vais pouvoir voir, côtoyer un animal et je contemple le paysage qui défile sous mes yeux au gré de la route. On arrive, on cherche le portail de l’association et j’aperçois le logo ‘Chou-AÎ’ sur l’un d’entre eux. On entre, et une immense propriété se dresse devant nous, une maison sur la droite, et au fond, d’énormes enclos grillagés.

Le propriétaire, passe la tête par la porte et nous propose de nous faire visiter. Il nous emmène dans un enclos où se trouve les petits paresseux. L’un d’entre eux était décédé, je me doutais bien de la réponse quand j’ai demandé s’il dormait, pleine d’espoir. Quelques autres personnes arrivent et là, chose totalement inattendue, Michel, le gérant, nous propose de les prendre dans nos bras. Comble de bonheur ! Je suis totalement tombée sous le charme de ces animaux et d’avoir pu en prendre un m’a fait réaliser à quel point je suis chanceuse d’être ici et me permet de me reconnecter avec cette nature que j’admire tant. La graine de la Biologie et surtout l’envie d’agir pour les animaux était définitivement entrain de germer.

(Si vous voulez voir les images de mes aventures en Guyane c’est par ici  => http://aeliaflora.fr/index.php/category/voyages/guyane/ )

Je suis ressortie des locaux de l’association avec ce besoin absolu d’avoir ce symbole dans ma vie. J’ai cherché sur internet une peluche paresseux, mais inexorablement, le sort voulait qu’il n’y ai rien de bien grandiose. Un après-midi, en allant au zoo de Macouria, prendre des photos du nourrissage des Caïmans, je suis passée par la boutique en ressortant et y ai jeté un œil, ce que je ne fais pas habituellement. J’y ai alors vu ce petit porte clé peluche de paresseux. Je suis rentrée, plus fière que jamais de l’avoir. Et il devrait faire partie de mon quotidien sans trop s’abimer. Les clés de voiture sont celles que j’utilise le moins, mon choix était fait. Une bien longue histoire pour une si petite peluche n’est-ce pas ?

Passons à quelque chose d’un peu moins joyeux. Mes médicaments. Petits amas chimiques, condensés de médecine et de promesses illusoires. Ils sont mes partenaires à vie. Ceux que je dois avoir toujours sur moi pour pallier mon corps douloureux et défaillant. Analgésiques, Anxiolytiques, Antihistaminique, Inhalateur, anti-inflammatoires et corticoïdes. Mes maladies, souffrir, c’est mon quotidien. Les médicaments en sont les témoins. Je ne les accepte pas et j’en parle à très peu de gens. Je n’aime pas que ça se sache, je ne veux pas qu’on me voit comme ‘la fille malade’. Même si malheureusement l’étiquette me colle à la peau, comme ces foutues pilules. J’en prends le moins possible, mais parfois le corps vous dit ‘merde’, et le choix n’est plus vôtre. Et pourtant, accepter… ?

Comment accepter ? Je ne crois pas que ce soit quelque chose de possible mais on peut vivre avec. Il faut juste se battre, et se battre, c’est réussir à avancer, quoiqu’il arrive. Et avancer, on le fait quotidiennement, parfois ponctué d’évènements marquants qui sont parfois simples pour certains, et une véritable aventure urbaine pour d’autre. L’un d’entre eux a été l’obtention de mon permis de conduire. Aventure que j’ai sobrement intitulée :  ‘Pour un bout de papier rose’.

Je pioche le dernier objet. Les clés de la maison où j’ai grandi. Chez Elle. Chez moi. Le seul endroit où je me sentais à ma place. La douleur est toujours présente, lancinante. Telle une précieuse relique, je les garde sur moi, elles sont un grigri à mes yeux, une sorte de talisman magique qui me dit ‘tu auras toujours un chez toi’. J’ai grandi à ses côtés, Elle est l’une des rares personnes à m’avoir aidé à devenir ce que je suis. Un pilier, soutien indéfectible de toute une vie. Un numéro de téléphone que je compose encore parfois, qui sonne inlassablement dans le vide malgré les sanglots qui m’étranglent. Seule l’absence me répond. Une maison vendue mais dont je garde les clés. Clés spirituelles du ‘château’ bien que les verrous aient été changé depuis.

 Il y a quelques scoubidous, fait par des amies de l’époque du lycée, un porte clé venant de New-York offert par ma sœur avec qui je vivais également et les Clés. Rappel inébranlable de ce numéro de téléphone gravé à jamais dans ma mémoire depuis toute petite… le 01 39 97 44 03 sera à jamais le numéro de mon enfance, et le 19 rue du haut des Taignies à jamais la demeure de mes souvenirs. Ce trousseau, je l’ai perdu dans cette maison un nombre incalculable de fois, je l’oubliais sans arrêt, et aujourd’hui, alors qu’il ne sert plus à rien, il est toujours sur moi. Il est une faille temporelle dans le courant de ma vie, ma machine à remonter le temps, quinze années plus tôt.

Je chéri chaque souvenir que j’ai d’Elle. Sa voix, qui s’estompe peu à peu, malgré mes larmes et mon refus que ce jour arrive. Ces clés, elles donnent accès à ma mélancolie, à des souvenirs heureux, à une blessure profonde qui ne guérira probablement jamais. Elles vous donneront la réponse à pourquoi j’ai parfois le regard dans le vide et un sourire triste. Un contact matériel, réel, rassurant, qui me remémore son sourire et combien chaque jour, chaque minute et chaque seconde semblent interminablement douloureuses sans Elle.